50 ans au service de l’accueil de l’étranger : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ». Parole de Jésus dans l’ Évangile selon saint Matthieu

migrations

Immigrés turcs à Montceau-les-Mines en 1971

Le phénomène des migrations est en continuel développement, (pas simplement en France, mais dans le monde entier). Cela constitue un défi pour l’action pastorale de l’Église. Le Concile Vatican II, dans le décret Christus Dominus, demandait que soient « l’objet d’une particulière sollicitude les fidèles qui, à cause de leur situation, ne peuvent bénéficier suffisamment du ministère pastoral commun et ordinaire des curés, ou qui en sont totalement privés, comme c’est le cas pour la plupart des migrants, des exilés, des réfugiés » (n. 18).

De nombreux phénomènes migratoires se sont produits durant ces 50 années : les besoins économiques de notre industrie ont aspiré nombre de travailleurs étrangers. Au début des années 60 dans les usines Schneider du Creusot, il y avait des travailleurs venus de 40 nationalités ! Teng Hsiao-Ping travaille aux laminoirs du Creusot ! Nombreux furent les immigrants venus de Pologne dans les mines de charbon et la sidérurgie, avec leurs aumôniers. La cité des Gautherets à Saint-Vallier est typique de ce point de vue ! Beaucoup d’immigrants des pays sont venus des pays latins : Espagnols ayant fui le régime de Franco, Italiens fuyant la pauvreté consécutive à la guerre, Portugais conduits par des passeurs « à travers la montagne » comme ils disaient, c’est-à-dire clandestinement, franchissant les frontières à pieds. Il y avait déjà au moment de la guerre d’Algérie une forte population maghrébine : Algériens, Marocains, Tunisiens qui travaillaient souvent dans le bâtiment ou les travaux publics, construisant les cités HLM, les ponts, les routes. Puis vinrent un nombre relativement élevé de travailleurs turcs. Malgré des politiques migratoires de plus en plus restrictives, avec le durcissement presque constant des lois, une politique européenne de l’immigration de plus en plus sévère, souvent contestée par le Conseil des Conférences Épiscopales d´Europe, les arrivées de réfugiés, de demandeurs d’asile se sont succédées en fonction des crises politiques majeures qui ont frappé notre planète : accueil de réfugiés chiliens, après le coup d’État du dictateur Pinochet ; arrivée de Vietnamiens, Laotiens, Cambodgiens (suite au génocide des Cambodgiens perpétré par Pol Pot) surtout à Chalon, Mâcon, Torcy, Autun, Monceau. Puis vinrent également nombre d’Africains venus du Sud du Sahara : famine et guerre du Biafra, sécheresse au Sahel, les nombreuses guerres et révolutions, génocides aux pays des grands lacs (Rwanda, Burundi, Ouganda, République du Congo), révolution et répressions féroces permanentes en Somalie, etc. Plus récemment la chute du mur de Berlin a été suivie par l’éclatement du bloc de l’ex-Union Soviétique en particulier en ex-Yougoslavie : Kossovo, Serbie, Bosnie, Macédoine, Croatie, Monténégro, etc.) : les conséquences migratoires se font encore sentir aujourd’hui, ainsi que dans certains pays du Caucase (notamment en Arménie, Géorgie, Tchétchénie, Daguestan, Azerbaïdjan, etc.). De nombreuses personnes ou familles demandent l’asile politique. Venus pour des raisons politiques ou économiques l’accueil des immigrés et des réfugiés est assez différent selon les périodes, les politiques migratoires. Accueil dans des foyers de travailleurs étrangers, dans les foyers Sonacotra, les CADA, ou autres… Le Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA.) de Digoin est sans conteste la structure qui recevra le plus de demandeurs d’asile, dans un contexte de vie très difficile… Le pôle universitaire du Creusot-Chalon accueille nombre d’étudiants étrangers de tous pays, y compris venus de Chine. Notre département a connu une immigration significative et variée, mais pas « d’invasion » ! Le nombre d’étrangers oscillera en Saône-et-Loire de 45.000 à 30.000 environ. Il est en diminution. Les chiffres sont parfois difficiles à obtenir.

Que fait l’Église durant toute cette période ? L’Église ne restera jamais les bras croisés… Je ne mentionnerai que la partie visible de l’iceberg (d’une petite partie). La partie invisible ce sont les milliers de petites actions souterraines, discrètes au plus près des besoins, des rencontres, dans les quartiers, les écoles, les hôpitaux, sur les chantiers, les terrains de sports, halls d’immeubles, dans certains centres sociaux, les entreprises… Que d’indifférences et de rejets , mais aussi que d’accueil, de solidarité, d’enrichissement mutuel ! »

On doit garder mémoire de l’action prophétique du père Rebillard à Chalon proposant d’accueillir dans l’église Saint-Pierre une cinquantaine d’Algériens en grève de la faim ! D’autres prêtres chalonnais ont également vécu une présence et une action très importantes : le père Gérard De Bélair avant son départ pour l’Algérie, le père Henri Gérard et le père Jean Desgouttes ont collaboré fortement à ces actions d’évangélisation, et de soutien évangélique aux immigrés : alphabétisation, apprentissage de la langue arabe, formation de responsables de communautés portugaises, préparation au baptême de nombreux Hmongs à Chalon et Cluny, de Vietnamiens, de Khmers… adultes et jeunes. Aujourd’hui d’autres prêtres assurent le relais, tel le père Stéphane Boyer. Il faut mentionner la présence et l’action de communautés religieuses implantées dans les quartiers populaires (Chalon, Torcy, Mâcon, Montceau, Saint-Pantaléon, Le Creusot). Plusieurs aumôniers étrangers (Polonais, Italiens, Espagnols, Vietnamiens) ont soutenu nombre de familles immigrées, animé de petites communautés chrétiennes.

Les immigrés, les réfugiés sont, pour la plupart, des croyants constitués : musulmans, chrétiens, membres de religions traditionnelles africaines, etc. Certains sont marqués par le bouddhisme. La plupart sont désorientés par le peu de visibilité des croyants en France, et ont bien du mal à se retrouver dans la laïcité à la française, qui cependant de façon incompréhensible pour eux les protège ; désorientés aussi par notre liturgie « cérébrale », avec beaucoup de paroles, des chants qu’ils trouvent tristes, peu de gestes, peu de joie communicative, une musique religieuse au passé prestigieux, mais souvent bien morne ! Etc. Beaucoup sont comme perdus et abandonnés. Pour eux la catéchèse est compliquée. Tout ce monde populaire n’a pas toujours trouvé les moyens adéquats pour une vraie évangélisation. Notons la présence parmi les immigrés de religieuses polonaises, brésiliennes, indiennes, vietnamiennes, africaines. Des paroisses, des monastères, des communautés religieuses, des diacres, mais surtout des laïcs accueillent parfois des réfugiés en situation plus que précaire ; de même plusieurs paroisses avec l’accord des autorités diocésaines. Bien entendu, certains chrétiens engagés dans des mouvements ou services d’Église ont vécu des actions et des rencontres fortes en ce domaine : jeunes de la JOC, adultes de l’Action Catholique Ouvrière, mais aussi d’autres mouvements. Parfois des actions très dures ont été vécues : grèves de la faim au Creusot, à Mâcon (salles Saint-Clément durant plusieurs semaines) à Chalon. Plusieurs diacres vont donner beaucoup de temps et de vigueur à la pastorale des migrants.

Moi-même, j’ai été appelé à animer le Service Diocésain des Migrants, cherchant à permettre que les étrangers soient accueillis et trouvent une juste place dans la société française. Et, à ce titre, j’ai eu la chance, même si ce ne fut pas facile tous les jours, de vivre au milieu des immigrés de toutes cultures et de diverses religions. Le premier axe de l’action du Service des Migrants est de favoriser l’accueil, de permettre aux immigrés, aux réfugiés de trouver une juste place dans la société. Je dois dire qu’ils sont relativement nombreux et très admirables les chrétiens qui militent activement avec d’autres dans de multiples associations et collaborent au travail inter-associatif que ce soit parmi les Amis du CADA de Digoin, la Ligue des Droits de l’Homme, les Réseaux d’Éducation Sans Frontière, syndicats d’ouvriers ou d’enseignants etc. Des luttes importantes ont parfois été organisées pour défendre des personnes, ou des familles menacées d’expulsion et même parfois après Macon, Digoin, Montceau, Chalon, Le Creusot. Plusieurs expulsés ont pu revenir en France. Des demandeurs d’asile se trouvent parfois dans des situations inextricables… Ils ne peuvent juridiquement pas être régularisés, mais ne peuvent pas non plus être expulsés (Les NI régularisables NI expulsables). Des formations ont été mises sur pied pour connaitre la législation concernant les droits et devoirs des étrangers, les procédures d’accueil ou d’expulsion. Cette législation est complexe et mouvante. Des dizaines de lois, de décrets s’empilent et modifient les règles mois après mois… Des collaborations fructueuses ont été établies avec le Service Social des Étrangers (SSAE), avec le Secours Catholique (qui a été très impliqué dans l’accueil) avec l’ASTI (Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés), avec des avocats spécialisés. Beaucoup d’étrangers ont eu besoin d’assistance juridique y compris à la commission de Recours à Paris. Cela entraine beaucoup de dialogues avec les élus des mairies concernées, les sous-préfectures, les services de la Préfecture, les députés ainsi que des dialogues avec les paroisses protestantes, avec des communautés évangéliques. Le Service Social des Étrangers a rendu des services immenses aux familles étrangères. On doit rendre hommage à ses animateurs et à ses actions.

La seconde ligne d’action fut de permettre aux immigrés chrétiens de prendre leur place dans les diverses communautés ecclésiales : paroisses, mouvements et autres. En de nombreuses villes, les immigrés portugais, italiens, espagnols ont tenu et tiennent une place importante dans les paroisses, les mouvements ou services. Mais souvent, au début, on a été tenté d’utiliser les immigrés comme « balayeurs », plutôt que de les considérer comme des frères et sœurs baptisés, avec leurs talents particuliers, leurs charismes et de favoriser leur prise de responsabilité entière dans la société et dans l’Église…

La troisième ligne d’action fut de favoriser le « Vivre ensemble ». Cela a passé par la création de la commission des migrants, de messes des Peuples, de fêtes ou rassemblements internationaux, de participations à la Fête des Voisins, etc. Certains catholiques ont vécu ainsi une vraie dimension de la catholicité, de l’universalité, etc. D’autres n’aiment pas quand une communauté étrangère s’exprime ou chante dans sa langue.

Autre dimension vécue par notre Église de façon certes modeste, mais néanmoins très significative… Travailler avec les migrants conduit nécessairement à rencontrer des musulmans, et donc à dialoguer avec eux. Cela permet de découvrir comment ils sont organisés, leurs lieux de prière, leurs fédérations, mais surtout leur foi au Dieu Unique, leurs fêtes. Plusieurs rencontres ont été organisées avec l’Institut Européen de Sciences Sociales de Saint-Léger de Fougeret, lié à l’Union des Œuvres Islamiques de France : (première école de formation de cadres musulmans en Europe). Des liens de confiance et d’amitié sont tissés dans les quartiers, les écoles, les hôpitaux, le sport, les entreprises, les syndicats… Bien entendu des discernements sont à faire. Cependant ignorer l’autre est le pire de tout. De vraies amitiés se sont tissées au fil des rencontres, des évènements.

Enfin, travailler avec les immigrés conduit bien sûr au dialogue interreligieux. J’ai eu la joie de participer à la mise sur pied des premières rencontres interreligieuses au carmel de Mazille avec des laïques et diacres et autres prêtres, et avec des moniales et religieuses avec le soutien et la participation de notre évêque. Quel travail et quelle joie ! Ceci fait l’objet d’un autre chapitre. Ce modeste papier est rédigé trop rapidement. Il mériterait davantage de précision.

Bien entendu ce modeste témoignage pourrait être truffé des paroles de Dieu. Je me suis contenté de deux paroles, une dans le titre, la seconde en conclusion. Elles donnent sens à ces belles pages d’histoire de notre diocèse.

 « Tout homme qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. ».

Père Jean-Noël Devillard

Quelques rapides compléments d’information par Jean Boulet

L’arrivée des migrants, ex-URSS et Balkans change la donne ancienne, l’ancien paysage ethnique et religieux :

– Une nouvelle génération d’orthodoxes, russes, ukrainiens, géorgiens, Eglise apostolique/grégorienne, des Arméniens/catholicat d’Etchmiadzine. Ce n’est plus l’orthodoxie classique mais survivants du stalinisme et de l’athéisme. Parfois (Arméniens des villages d’Azerbaïdjan), ils ne sont pas baptisés mais ont conservé le seul Notre Père hérité des grands-mères, ou une croix au cou.

– Des religions inconnues jusque-là, les Yésidis d’Arménie, de Géorgie (certains mettent des cierges dans les églises), des islams particuliers, (Balkans, couples mixtes Azéris -Arméniens).

– Et l’Afrique (églises évangéliques).

Je pense que l’œcuménisme traditionnel (sur le triptyque Cathos, Eglise réformée, Eglises  orthodoxes traditionnelles) évolue et doit évoluer encore pour prendre en considération les chrétiens arrivants. Ainsi les orthodoxes de Chalon ont su accueillir (familles géorgiennes, ukrainiennes surtout). Le Creusot a sa chapelle orthodoxe qui depuis quatre ou cinq ans revit deux à trois fois l’an en lien avec l’église Alexandre-Nevski à Paris, on y voit aussi des nouveaux arrivants.

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Petites filles Hmongs

Ensuite il y a quelques dates clés sur le diocèse et le département et des témoins importants de la prise en compte des migrants par l’Eglise : Jean Desgouttes et J.N. Devillard au SPM (le premier a connu l’immigration de travail, le second l’arrivée de demandeurs d’asile) ; Brigitte Forêt (présidente au Secours Catholique).  Je ne parle pas ici des acteurs plus locaux dans tel ou tel doyenné, soit ponctuellement sur une famille soit de façon pérenne (Cluny, Tournus et d’autres). Je n’ai parlé là que de l’Eglise, mais il y a tous les engagements hors Eglise, qui ont eu la première place, avec cette particularité d’une excellente coopération sur le département au service des demandeurs d’asile toutes familles de pensées confondues. Parmi les acteurs majeurs citons, au risque d’en oublier, le SSAE (Service Social d’Aide aux Etrangers, dissous depuis), l’Asti, le Covade, la LDH, le Secours populaire et à partir de 2005 le RESF (Réseau Education Sans Frontière), lequel, entre bien d’autres actions anime des cercles de silence réguliers à Cluny, Chalon, Mâcon, Montceau.

1974 : le choc pétrolier ferme l’immigration de travail, il reste l’immigration  familiale.

1989 : ouverture du mur de Berlin, début des guerres du Caucase (Haut Karabakh dès 1988, Tchétchénie en 1994).

1991 : début des guerres yougoslaves.

Le visage de l’asile change en nombre et en nature. Le réfugié était un transfuge qui fuyait pour rejoindre notre camp donc plutôt bienvenu ; ou alors il fuyait des dictatures (Chili) et trouvait un accueil bienveillant. Soit à droite, soit à gauche chaque  réfugié trouvait des accueillants qu’il confortait dans ses opinions.

Avec la chute du mur et de l’adversaire soviétique, avec l’évolution et les drames africains, le réfugié devient  pour certains un gêneur.

1991 : suppression du droit au travail pour les demandeurs d’asile, création des CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile), l’ATA. Celui de Digoin, centre ADOMA (ex-SONACOTRA) ouvre en septembre 1993. Il sera suivi de celui du Pont à Montceau-les-Mines (2003), puis ADOMA Chalon, ainsi qu’un centre Croix Rouge à Couches (Mardor).

26 décembre 1991 : le Soviet Suprême dissout l’Union Soviétique.

10 juin 1999 : fin de la guerre au Kosovo, (vote de la résolution 1244 des Nations Unies)

5 octobre 2002 : rendez-vous de la solidarité à Paray-le-Monial sur le thème de l’asile en France. Le service diocésain de la Pastorale des Migrants invite largement tant dans l’Eglise de Saône-et-Loire qu’auprès d’associations non confessionnelles. C’est une étape dans le partenariat inter associatif.

18 janvier 2005 : création de l’ANAEM (devenue ensuite l’OFI) qui implique le démantèlement du SSAE­­ (Service Social d’Aide aux Etrangers), une association  1901  issue de la dernière guerre. Le SSAE absorbé par l’OMI devient l’ANAEM qui est dépendante du pouvoir. Dès 2004¸ les assistants sociaux du SSAE 71 (Alain Gauthier, Marie Madeleine Passot) ont mis en route des bénévoles pour relayer l’action qu’ils savent ne plus pouvoir poursuivre. Nombre de bénévoles se forment sur le droit très particulier de l’asile.

2006 : des associations, chrétiennes ou pas, paroisses ou cités, s’investissent dans l’accompagnement et le logement de déboutés du droit d’asile.

 Avec l’émergence d’universités délocalisées au Creusot par exemple, la Saône-et-Loire accueille des étudiants internationaux au sens large (tous continents) : des initiatives, là aussi dans ou hors Eglise, naissent. Par exemple, les soirées conviviales de l’accueil Saint-Laurent au Creusot, succédant à Nicodème (voir famille Mérigoux).

A noter qu’une réfugiée malienne a été un temps responsable JOC sur le département.

Voilà  vite tracé quelques aspects de l’accueil des étrangers, immigration de travail de 1945 à 1974, réfugiés depuis la chute du rideau de fer (il y avait eu avant le Chili, les Boat People, des baptêmes Hmongs et Cambodgiens) ; mais en 1989, la place du réfugié change comme expliqué plus haut.

Jean Boulet