Les pèlerinages de Paray-le-Monial : l’évolution d’un sanctuaire

Au moment des apparitions du Christ à Marguerite-Marie Alacoque, de 1673 à 1675, Paray-le-Monial est une toute petite ville (2000 habitants) qui est un centre religieux (plus de 100 prêtres, religieux et religieuses dans la cité), mais d’importance locale. Bien que la popularité de Marguerite-Marie s’étende rapidement, avec la diffusion du message dans le monde entier et l’ouverture de sa cause de canonisation en 1714, on ne constate pas que Paray devienne un lieu de pèlerinage avant la Révolution.

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La situation va changer au XIXe siècle. D’abord la cité est désenclavée par la création du chemin de fer. A la fin du XIXe siècle, la gare devient même un centre ferroviaire important et un nœud de communications. La ville est alors accessible de partout dans de bonnes conditions. Mais le plus important c’est la prodigieuse expansion du culte du Sacré-Cœur après la Révolution : en 1856 la solennité est étendue à l’Eglise entière, en 1899, Léon XIII consacre le genre humain au cœur du Christ. Cela se combine avec le développement extraordinaire de la spiritualité des pèlerinages dans le catholicisme français de l’époque. Par ailleurs, on attache de plus en plus d’importance aux deux saints de Paray, ce qui amène d’abord à pousser la cause de Marguerite-Marie. Déclarée vénérable en 1824, elle sera béatifiée en 1864 puis canonisée en 1920. On commence la cause de Claude La Colombière, qui sera finalement béatifié en 1929 et canonisé en 1992. Mais ce sont les malheurs de la France après 1871 qui amènent le « lancement » de Paray. En effet, on analyse la défaite de la France face à l’Allemagne comme ayant avant tout des causes spirituelles. Il faut donc que la France revienne à Dieu si elle veut se retrouver elle-même. C’est le sens de la construction de la basilique de Montmartre, dont le projet commence en 1871. Dans la même ligne ont lieu des grands pèlerinages nationaux à Paray-le-Monial. Organisés par le jésuite Victor Drevon, les plus importants se déroulent en 1873 et rassemblent des dizaines de milliers de personnes venues de la France entière, parfois avec leurs évêques, sans compter de nombreux pèlerins venant de l’étranger, par exemple de Belgique ou d’Irlande.

A partir de ce moment-là, Paray devient un lieu inter-national de pèlerinages et la ville s’organise en conséquence. Des communautés diverses s’installent : Clarisses en 1878 venues de Périgueux, Carmélites en 1901 venant de Dijon, Dominicaines en 1929 venant de Mauléon, Petites Servantes du Cœur de Jésus, Sœurs des Saints Anges, Frères des Ecoles Chrétiennes, Sœurs du Saint-Sacrement, Petites Auxiliaires du Clergé (1923) aujourd’hui Auxiliaires du Sacerdoce, etc.
Les anciennes communautés, comme la Visitation ou les Hospitalières recrutent. Les Jésuites établissent une grande maison du Troisième An puis construisent en 1929 la chapelle de La Colombière. Le cardinal Perraud (1828-1906, évêque d’Autun à partir de 1874) crée un corps de chapelains en 1875, auquel la paroisse est confiée, et achète pour eux l’ancienne maison prieurale reconstruite en 1889. Le père Drevon SJ (1820-1880), grand promoteur de Paray, lance même un projet de basilique qui échouera, mais il aidera le baron de Sarachaga (1840-1918) à créer le musée eucharistique du Hiéron qui ouvrira en 1890. Paray devient un lieu où l’on passe. Ainsi la première sainte australienne, Mary Mac Killop (1842-1909) y vient pendant son séjour en Europe, ou encore saint  Joseph Sébastien Pelczar (1842-1924),  polonais, qui fondera  les Servantes du Sacré-Cœur de Jésus. Le Père Matteo Crawley-Bowley (1875-1960), Picpucien péruvien est guéri à Paray, brusquement, en 1907, d’une maladie qui allait l’emporter et, appuyé sur le secrétariat des Œuvres du Sacré-Cœur, il fait de Paray l’un des centres de son apostolat de l’intronisation du Sacré-Cœur dans les familles. Plus tard, grâce au Père Roustan, Paray-le-Monial devient un centre de prédication de retraites selon la méthode des Exercices sur cinq jours. Au centre de l’activité, la communauté des chapelains, qui sont en fait des missionnaires diocésains, prêche dans tout le diocèse d’Autun des missions paroissiales faisant connaître le message de Paray. Les paroisses de la région viennent en pèlerinage. Cela ne signifie cependant pas que des foules énormes fréquentent Paray. Sur le plan français, le sanctuaire reste relativement modeste.

Mais brusquement, à partir des années 1960, le mouvement se casse. Les gens viennent de moins en moins. La désaffection à l’égard du culte du Cœur du Christ en Europe occidentale y est certainement pour beaucoup. La manière dont celui-ci est présenté (une interprétation assez étroite de la Réparation par exemple) le rend de plus en plus opaque aux mentalités contemporaines. Le Concile de Vatican II n’en parlera quasiment pas, ce qui est tout dire ! Les paroisses ne se déplacent plus. Les communautés religieuses recrutent moins et le Carmel finira par quitter la ville en 1984. Un des rares évêques étrangers à se recueillir à Paray est le cardinal Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, qui vient en 1965 pour le second centenaire de l’obtention de la fête liturgique du Sacré-Cœur par la Pologne. Quand, en 1975, on fête le centenaire de la troisième et plus importante apparition, les célébrations se déroulent au milieu d’une grande indifférence de l’Eglise de France.

C’est pourtant cette année-là que commence le renouveau de Paray-le-Monial. Il est marqué par trois événements concomitants. D’abord l’établissement d’une maison de formation sacerdotale qui affirme un nouvel espoir pour le sacerdoce, en une période de scepticisme vis-à-vis de celui-ci. A la suite de diverses évolutions, c’est actuellement la Maison Saint-François-de-Sales, pour les propédeutes de la région. Ensuite la venue à Paray de Mgr Maurice Gaidon (1928-2011). Mgr Gaidon, auparavant évêque auxiliaire de Besançon, était malade et vint reconstruire sa santé à Paray, dont il fut nommé recteur du pèlerinage en 1975. Il devait y rester jusqu’en 1987, moment où il devint évêque de Cahors. Il comprit en profondeur ce que signifiait le Sacré-Cœur et il fut l’un des premiers à en donner une vision moderne et compréhensible pour les laïcs et pour les prêtres. Aidé par les générosités d’un riche américain, il se fit l’apôtre du Cœur de Jésus et de Paray-le-Monial dans le monde entier et publia des livres très utiles. Sa présence rayonnante, aidée par la compréhension de Mgr le Bourgeois (1928-2005, évêque d’Autun de 1966 à 1987), joua un grand rôle pour présenter un nouveau visage de Paray. Enfin, en 1975, Pierre Goursat (1914-1991), fondateur de la Communauté de l’Emmanuel, décidait que cette communauté organiserait désormais tous les ans des sessions d’été à Paray. Commencées avec 400 personnes, elles allaient peu à peu arriver à environ 30.000 participants, venant du monde entier.

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Les sessions de Paray ont été la « locomotive » du renouveau du pèlerinage, car elles l’ont fait connaître partout. Actuellement, dans le monde catholique français et même bien au-delà, il est presque impossible de ne pas connaître le nom de Paray. C’est un des lieux emblématiques, non seulement du Renouveau charismatique catholique, mais du renouveau de l’Eglise tout court. C’est en particulier un des sites où a été vécue, de manière très persuasive, la réforme liturgique de Vatican II avec des célébrations vivantes et participatives, animées par des chants qui se sont répandus dans le monde entier. Paray a été comme une sorte de laboratoire de l’application du Concile dans des domaines comme la collaboration fraternelle prêtres-laïcs pour l’évangélisation, l’incitation aux baptisés à s’engager dans l’apostolat, le dialogue entre la culture et la foi, la promotion de la sainteté dans la famille, etc. Les sessions sont un lieu de conversions, dont certaines retentissantes, elles ont été l’occasion d’un bon nombre de vocations au sacerdoce ou à la vie religieuse. Elles ont été fréquentées par des personnes comme frère Roger Schutz, le fondateur de Taizé, Mère Térésa, le cardinal Jean-Marie Lustiger, qui y était très attaché, le Père Emiliano Tardif (1928-1999), grand prédicateur charismatique devant l’Eternel, dont la cause de béatification a été ouverte, etc. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le Pape Jean-Paul II ait voulu venir à Paray-le-Monial, lors de son voyage apostolique dans le Centre-Est de la France, en 1986. Une foule de plus de 130.000 personnes l’attendait au parc du Moulin Liron, un espace que le docteur Drapier, maire de Paray, avait heureusement fait aménager depuis peu pour accueillir les sessions. Ce fut un grand moment.
Devant la nouvelle expansion du pèlerinage, Mgr le Bourgeois confia cette même année 1986 à la Communauté de l’Emmanuel la pastorale du pèlerinage de Paray-le-Monial. La Communauté s’engagea à fournir le nombre de chapelains suffisant pour cela et elle investit aussi un nombreux personnel laïc sur Paray. De fait, le pèlerinage s’est développé, par la venue de groupes nombreux originaires maintenant du monde entier. Pour les accueillir, un milliardaire hollandais qui venait de se convertir, Piet Derksen, construisit un hôtel à ses frais.  Parallèlement, Paray, mieux desservie par la RCEA dont les deux branches principales s’y rencontrent, est devenu un  lieu important de découverte artistique et spirituelle et une ville-étape. On estime en 2011 à un million le nombre de nuitées sur Paray, dont pas loin de 300.000 liées directement au pèlerinage. Il faut donc aller plus loin dans la capacité d’accueil, d’où le projet Paray 2020, l’investissement du diocèse dans la maison Cor Christi et dans la Maison du Sacré-Cœur et la venue de nouvelles communautés religieuses. Paray s’apprête, si Dieu le veut, à franchir une nouvelle étape de sa belle et longue histoire.

Bernard Peyrous
supérieur des Chapelains et recteur des sanctuaires de Paray