Sans le savoir, le diocèse avait un temps d’avance : l’arrivée d’un jeune pasteur suisse « entre Cluny et Cîteaux », selon son expression, en 1940, l’installation d’une poignée de frères qui priaient dans l’église romane de Taizé, la croissance de cette communauté atypique est un grain de blé jeté en terre bourguignonne. L’accueil que Mgr Lebrun réserve à l’intuition de Roger Schutz est à la fois prudent et chaleureux. Il ne reste aucune archive de ce temps et c’est fort regrettable. Le Père Hermil, au début des années 60, alors curé à Mâcon, interviendra près de la Préfecture, à la demande de Mgr. Lebrun, pour que le premier Concile des Jeunes ait cuisines et sanitaires qui rendent la chose possible.

Un œcuménisme qui ne commence pas par penser des problèmes mais par vivre ensemble la charité et le service de l’Evangile. Le même Hermil avait fait don de la Grande Bible des Editions du Cerf lors de l’inauguration du temple réformé. Elle y est toujours présente. C’était avant le Concile.

L’arrivée du Père Le Bourgeois, à peine le Concile achevé, va donner un coup d’accélérateur. Il devient en effet président du groupe d’évêques chargé de l’œcuménisme. Sa volonté d’ouverture sans confusion le fera devenir plus qu’un partenaire mais un ami des responsables des communautés issues de la Réforme, en particulier, son alter-ego à la co-présidence de la commission mixte, le pasteur Paul Guiraud. J’entends encore Paul dire : « Armand, je t’aime assez pour ne pas communier à la messe que tu célèbres, par respect de la vérité ». Connaissant la discipline de nos Eglises… chacun décide en conscience de ce qu’il peut faire. C’est la formulation employée lors de la première rencontre européenne KEK-CCEE à Chantilly que co-présidaient le Cardinal Etchegaray et le Métropolite Alexis qui deviendra patriarche de Moscou. Le Père Le Bourgeois m’avait chargé des liturgies avec un pasteur luthérien, Jacques Fisher.

Dans le diocèse, les communautés réformées sont peu nombreuses : Chalon, Creusot, Mâcon, Sornay. Au Creusot, une petite communauté orthodoxe est desservie par la cathédrale de la rue Daru de Paris. Une communauté orthodoxe est née aussi à Chalon, relevant du Patriarcat de Serbie. A Uchon, présence orthodoxe variable selon le temps mais très modeste.
Une équipe œcuménique diocésaine se met en place avec un frère de Taizé et la Semaine d’universelle prière pour l’unité des chrétiens vit : chaque année une veillée de prière est conduite alternativement par le pasteur et un prêtre avec une fréquentation qui est allée s’amenuisant …
L’un des animateurs fervents de l’œcuménisme a été le père René Dargaud, farouche défenseur de « l’accueil du frère ».
Le Carmel Notre-Dame de la Paix, à Mazille a de nombreux hôtes réformés, suisses entre autres.

Des événements, petits signes mais grande signification :
Le docteur Runcie, primat de l’Eglise d’Angleterre, est venu prier dans la chapelle de l’évêché le 4 décembre 1984 pour faire mémoire de saint Augustin de Canterbury, accueilli avec ses moines, tout un hiver à Autun par saint Syagre, alors qu’ils allaient évangéliser les Angles. Le siège d’Autun y avait gagné le pallium des mains de saint Grégoire le grand, honneur que Paul VI a supprimé quinze jours avant sa mort.

Autre visite mémorable. En 1979, une délégation du Patriarcat de Moscou répondait à l’invitation de l’épiscopat de France et s’arrêtait à Autun : les trois supérieurs de séminaire, dont Cyril de Viborg, actuel patriarche, le numéro deux du patriarcat, Métropolite Philarète de Minsk, le directeur des éditions, Archevêque Pitirim de Volokolamsk. Philarète, à dîner, demande au père Le Bourgeois : « Comment voyez-vous une marche vers l’unité ? » Tranquillement, à son habitude, le père Le Bourgeois répond sans hésiter : « Par le dialogue fraternel entre les Eglises particulières et leur travail commun». Philarète s’est levé d’un élan, et, les deux mains tendues par-dessus la table, dit : « C’est cela que j’espérais entendre ». Le dialogue du cœur d’abord et de la simplicité.
Le diocèse s’est mobilisé à partir de 1995 sur la mise en place de 40 priorités de solidarité. Tous les cinq ans, un rassemblement diocésain est organisé : c’est la Communauté de Taizé qui accueille, le premier dimanche d’octobre, les 5.000 à 6.000 diocésains. Pas seulement pour les espaces de travail de déjeuner et de prière, mais qui accueille au plein sens ce rassemblement d’Eglise. Un œcuménisme qui ne bavarde pas mais qui se vit, dans la prière et l’accueil profond de l’essentiel.

A Autun (1967-68 ?) avec le père Chapey, à Mâcon (1998 ?) avec le père Calimé sont nées deux associations œcuméniques Foi et Culture pour rendre la pensée des chrétiens, pas forcément unanime d’ailleurs sur tous les sujets, présente aux débats d’idées de notre société. Une manière commune d’être là ensemble.
L’ACAT est présente de manière plus ou moins importante selon les villes.
A Chalon, « Faire connaître la Bible » organise des conférences.

L’Eglise orthodoxe a eu une présence sur Le Creusot, desservie par la cathédrale St-Alexandre Nevsky (patriarcat de Constantinople). Un moine, puis une moniale ont une présence à Uchon.
Depuis l’arrivée de Mgr Rivière, les choses ont pris un nouveau cours. Des rencontres plus directes entre l’évêque et certains pasteurs ont conduit à un acte deux fois répété – date commune de Pâques) : le matin de Pâques, à Chalon, sur une place de la ville, l’annonce commune de la Résurrection : cela signifie un dialogue antérieur qui seul rend crédible cette parole publique.
Les communautés évangéliques se multiplient, aux pasteurs autoproclamés. Le dialogue est parfois difficile à cause de la pratique du re-baptême dans le cas de changement d’appartenance.
En 2012 le responsable de l’œcuménisme est le père Denys Perret, après Dominique Galmiche, diacre permanent. Une petite équipe diocésaine comporte la présence d’un frère de Taizé.

Nicole de Champeaux – Pierre Calimé

L’évolution de l’œcuménisme vue du côté de l’ Eglise réformée

Un ami et frère, le père Jean-François Arnoux m’a demandé de dire ce que j’ai vécu concernant l’œcuménisme, pendant les 50 ans qui ont suivi Vatican II.
Je dois tout d’abord dire que je ne suis pas si vieux que cela : je ne suis pasteur que depuis 30 ans (« reconnaissance de ministère » en 1986).
J’ai été en poste à Bergerac en Dordogne (1982-1984), Vallon Pont-d’Arc en Ardèche (1984-1996), Chalon-sur-Saône et Sornay (1986-2009) et depuis cette date à Thiers-Clermont-Ferrand.
Partout j’ai rencontré des prêtres qui ont été chaleureux avec moi, compréhensifs, accueillants et fraternels. J’ai connu à Vallon Pont-d’Arc un prêtre abeilleur comme moi, qui connaissait l’histoire de chaque famille importante dans ce coin touristique du sud de l’Ardèche. Un vrai curé de campagne, intégré dans la société rurale, comme un grand père de famille.
Mais pendant toute cette période en terre huguenote, j’ai découvert l’histoire huguenote (je suis alsacien, luthérien d’origine et ne connaissais pas du tout l’histoire huguenote de France, si ce n’est par quelques vagues leçons de catéchisme qui ont passé par-dessus ma tête).

Il s’est donc développé en moi une fierté de « résistant » par rapport à l’Eglise catholique romaine. J’étais pour l’œcuménisme, mais à condition que les catholiques découvrent la vérité du protestantisme. Cette pensée intérieure, je ne l’exprimais évidemment pas.
Tout a changé quand j’ai découvert comment, depuis Vatican II l’Eglise catholique avait changé son enseignement par rapport aux Juifs. Les pères conciliaires sont passés par-dessus l’antisémitisme (qu’on appelle aussi « anti-judaïsme »), pour citer directement l’enseignement de l’apôtre Paul dans Romains 9 à 11. L’élection d’Israël demeure. Dieu ne peut se renier. Jésus est bien le Roi des Juifs. Qu’une Eglise se trompe, cela arrive bien souvent ; mais qu’une Eglise reconnaisse qu’elle s’est trompée, cela ne peut que forcer l’admiration de tout homme sincère. La repentance est un don de Dieu.

Je me suis dit qu’une Eglise qui se laisse ainsi remettre en question par la parole de Dieu, malgré le poids d’une tradition séculaire, ne peut pas avoir tout faux sur toute la ligne.
Mais une deuxième chose a fait changer mon attitude profonde intérieure quand à l’Eglise catholique : un prêtre à Louhans m’avait demandé de « concélébrer » l’eucharistie avec lui. C’était la première fois que cette proposition m’était faite. J’ai accepté en disant intérieurement au Seigneur que j’étais prêt à écouter ce qu’il avait à me dire. Lors de cette eucharistie, il m’a semblé entendre le Seigneur me dire : « Peux-tu te réjouir de ce que mon Eglise vive ? ».

Cette parole du Seigneur a changé mon attitude par rapport aux catholiques : si le Seigneur veut développer Son Eglise, la faire grandir et vivre, je veux m’en réjouir.
Je pense cela des catholiques et je le pense aussi des autres églises.

Matthias Helmlinger, pasteur de l’Eglise réformée

Vatican II et œcuménisme vus du côté d’une Eglise Evangélique

Voici comme évangéliques ce que nous avons compris de Vatican II à la suite de lectures d’articles, de contacts avec nos amis catholiques et d’un extrait de film sur ce concile.
Ce fut un formidable coup de l’Esprit Saint qui ébranla tout ce qui était préparé et qui existait pour lui redonner vie.
Pour nous, c’est depuis ce concile que nos amis catholiques ont la possibilité de lire la Bible chez eux. C’est particulièrement cela qui nous rapproche, cette possibilité de se nourrir quotidiennement de cette Parole. Cependant, il reste une peur des autorités ecclésiastiques, qu’elle soit manipulée, qu’elle échappe, que le croyant devienne le propre dépositaire de la vérité entre Dieu et lui. C’est certain que cette Parole s’incarne réellement dans une dépendance et une soumission dans la verticalité et l’horizontalité. Mais cette Parole est bien un manuel de vie plus qu’une construction théologique.

Pour nous, ce fût aussi à ce moment-là que l’Eglise Catholique reconnut le statut de frères et sœurs chrétiens dans d’autre confessions. Il existe cependant toujours un mélange dans la pensée de tout un chacun entre œcuménisme et interreligieux.
L’œcuménisme a été à la base de notre rencontre en couple, il nous a unis dans un appel commun que nous portons toujours avec nous. Il l’a été pour Florian lors de la création de la commission de dialogue entre catholiques et évangéliques. Il l’a été pour moi dans des nuits de prières et une fraternité de sœurs œcuménique à Romainmôtier. Nous l’avons vécu intensément à Rome lors des JMJ où nous animions une prière à la Trinité des Monts entre catholiques, orthodoxes, luthériens et évangéliques. Enfin c’est à Louhans où nous avons été accueillis avec beaucoup de gentillesse pour y célébrer nos cultes dans le centre paroissial.

Mais, c’est surtout l’œcuménisme « tasse de thé », celui de la rencontre du différent où se sont noués des amitiés, des fraternités là où la doctrine nous séparait, la communion au Christ nous rapproche, c’est ainsi que nous avons rencontré des évêques Mgr Daucourt, Mgr Guenley, et Jean-François Arnoux.
A Louhans les parcours Alpha œcuméniques nous ont fait vivre de beaux moments de découverte de nos différences et en même temps la joie de voir toutes les bases qui nous rassemblaient, ainsi que l’importance de parler de cette bonne nouvelle à d’autres.

Nous avons pu nous apprivoiser, nous reconnaître et nous aimer.
Prier pour la dédicace d’un pont ensemble aurait pu, a failli, ne pas se faire. Mais chaque mot de cette préparation nous a montré que l’essentiel nous unissait.
Ce que je viens de dire pourrait faire croire que c’est le ciel sur la terre, mais non, nous pourrions faire mieux et plus de choses ensemble.
Merci pour ce qui peut être vécu.
Merci de faire grandir la reconnaissance dans sa grâce particulière.
Merci Seigneur pour la qualité de Ton amour qui nous unit déjà.
Ne nous laisse pas nous complaire dans l’autosatisfaction.

Florian Rochat, pasteur évangélique