Avant-propos

Au séminaire, il y avait toujours un  long temps de lecture au début du repas, et à la fin du repas, une lecture évoquant la vie du saint dont on célébrait la fête le lendemain. On ne sait pas bien d’où vient la biographie suivante. Toujours est-il qu’elle a marqué les esprits et qu’un « ancien », Pierre Bezin,  nous la raconte de mémoire. Il faut lire « recto tono » sur un ton uniforme. Vie des saints pour tous les jours de l’année. Aujourd’hui, vie du bienheureux Ponel de Longchamp.

Le bienheureux Ponel de Longchamp naquit à Longchamp – on lit en note : Longchamp, petit village du Nord de la France situé à proximité de Paris – retour au texte : le 31 Février 1715.

Dès son enfance, on sait qu’il était destiné à la plus haute sainteté, étant donné que ses langes prenaient d’eux-mêmes la forme d’une chasuble et ses cheveux, la forme d’une tonsure.

Trois fois par semaine, dit-on, par esprit de pénitence, il refusait le sein de sa nourrice.

A 48 ans, le bienheureux Ponel de Longchamp fut atteint d’une maladie : une ophtalmie à l’œil.

Ses frères en religion lui conseillèrent d’aller en pèlerinage sur la tombe du saint Monsieur Olier afin de demander sa guérison. Il décida donc de faire ce pèlerinage. On apprêta pour lui une voiture à cheval.

Sur un chemin montant, sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé, six forts chevaux tiraient son coche. Soudain, ô prodige, ô miracle, une roue se dévissa. Il fallu s’arrêter. Le bienheureux se mit en prière, à genoux. Et l’on repartit. Soudain, ô prodige au miracle, ce fut l’autre roue qui se dévissa.

Arrivé sur la tombe du saint Monsieur Olier, Ponel de Longchamp prit son œil et le frotta avec componction sur la pierre tombale. Et soudain, ô prodige, ô miracle, de borgne qu’il était, il devint aveugle.

A 98 ans, le bienheureux Ponel de Longchamp fut atteint d’une autre maladie qui devait l’emporter.

Comme il était en agonie, son père spirituel lui dit avec des larmes dans la voix : « Mon fils, je crois que c’est la fin. » «  Non, répondit-il, c’est la soif, et il expira.

Autre version par le père André Bossot

Un autre « ancien », le père André Bossot, nous raconte la même histoire avec sa mémoire d’aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle la « tradition orale » d’où les variantes du texte !

Le bienheureux Ponel de Longchamp est né fort sain dans le sein de sa mère. Dès sa naissance, il manifestait avec évidence sa vocation à être un sain.

C’était déjà une vocation à l’ascétisme : chaque vendredi il refusait le sein à sa nourrice, pieuse pratique dont on assure qu’il la conserva jusqu’à la fin de ses jours.

Rien de spécial à signaler de son enfance et de son adolescence, sinon qu’il fut toujours un bon chrétien, pieux, obéissant, assidu à ses devoirs, et sans la moindre velléité d’exprimer une opposition aussi minime soit-elle, ou même une question à ce qui était imposé par le règlement ou ses éducateurs.

Ponel de Longchamp (n’oublions pas la particule !) parvint ainsi à un âge avancé, entouré de l’approbation sans faille de ses supérieurs et de l’admiration de ses collègues : il remplissait les fonctions modestes, mais ô combien délicates et méritantes, de surveillant d’études, de récréation et de dortoir de son ordre – quelque chose comme des chartreux déchaussés dans un pays de montagne couvert de neige neuf ou dix mois par an.

On comprend que Ponel de Longchamp sans jamais posséder de cheval de course – comme son nom pourrait le faire croire – soit parvenu à la plus authentique sainteté, ce qui se manifestait de la façon miraculeuse suivante : s’il plaçait (lui ou un copain – il n’avait pas de copine !) une assiette plate derrière sa tête, cette assiette se transformait automatiquement en auréole !

Arrivé à un âge avancé, notre saint vivait modestement dans une maison de retraite – un peu chère, il est vrai, mais franco-canadienne « domus-vi », maison médicalisée… lorsqu’on trouve une infirmière, c’est le cas aujourd’hui, qui lui découvre une ophtalmie à l’œil gauche. Son confesseur lui conseilla de faire un pèlerinage au tombeau du saint Monsieur Olier. On se mit donc en route en diligence, la diligence épiscopale.
Le chemin était montant, sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé (Jean de La Fontaine livre VII, fable IX). Soudain, une roue de la diligence se détacha. Le saint se mit en prière au bord de la route. Et, ô miracle, ô splendeur, ô merveille ! ce fut l’autre roue qui se détacha !. Après de multiples péripéties, on arriva cependant à la merveilleuse église Saint-Sulpice qui a donné son nom au merveilleux art du XIXe, je vous laisse juger.

Notre saint sortit l’œil malade de son orbite et le frotta vigoureusement sur la pierre tombale sous laquelle reposait le saint monsieur Olier, et, ô surprise, ô splendeur, ô merveille, ô miracle, de borgne qu’il était, le bienheureux devint aveugle !
Le bienheureux Ponel n’est donc devenu le saint patron, ni des ophtalmologistes, ni des charrons et des garagistes, mais un petit saint tout ordinaire… comme nous devenons, péniblement, mais débordants d’espérance.

Patron peut-être des humoristes, il y en a déjà un : c’est saint Philippe de Neri.

André Bossot, le 27 juillet 2012

—————–

P.S. : Pour les personnes qui n’ont pas fait leurs études dans l’un de nos petits séminaires, cette biographie se comprend mieux si on sait que nos repas se passaient en écoutant une lecture édifiante, et donc, pour nous, en silence. (Les deux premiers livres que j’ai entendus lire au réfectoire étaient : La vie de saint Martin d’Henri Ghéon et France pays de Mission des abbés Godin et Daniel… je n’ai pas tout oublié, c’était il ya… 68 ans !).

On avait peut-être oublié que « ventre affamé n’a pas d’oreille » et nous cherchions un peu de récréation en laissant nos imaginations divaguer, après des demi journées de ce que je tiens à signaler comme étant du travail sérieux. : je possède encore une dissertation de théologie de trois pages dactylographiées, sans interlignes, signée AB ! nos facéties dans la lecture du réfectoire et nos sermons ( c’est là que nous apprenions à prêcher !) rempliraient un bouquin  et nous détendraient !

Cette biographie du bienheureux Ponel de Longchamp – ce pastiche tout à fait fantaisiste, voulait tout simplement, sans critiquer, exprimer avec humour un de ces moments – heureux – que nous avons vécus pendant cinq ans au milieu de quelques difficultés.

Heureusement aussi : pourquoi aurions-nous dû être des privilégiés de la condition humaine ?