Comment imaginer René Dargaud arrivant au Ciel samedi dernier sans un bon mot percutant, du style : « A propos, saint Pierre, dépêchez-vous, introduisez-moi ! A 95 ans bientôt, après 70 ans de service de l’Eglise, ma place est bien au banquet éternel !… Et si vous m’installez auprès de Roger Philibert, Jean-Marie Fernez et Pierre Bouthière, vous ne serez pas déçu, même les anges secoueront leurs ailes de rire ! »

S’il est en effet un trait marquant de René Dargaud, c’était son humour et ses réparties pince-sans-rire, inattendues ! René était doué d’une intelligence vive. Très tôt il fut remarqué par Mgr Chassagnon, alors évêque d’Autun, qui le nomma dès son ordination, secrétaire à l’évêché. Prisonnier pendant cinq années, il revint et eut la charge de la « Semaine Religieuse » – le bulletin diocésain – avec des énervements hebdomadaires redoutés de l’entourage quand – le mardi – les textes à paraître n’étaient pas sur son bureau et qu’il avait rendez-vous avec l’imprimeur.

Aumônier diocésain des cheminots, postiers et infirmières catholiques, de l’ACI et de l’ACGH, il trouvait là sa respiration : le contact avec l’extérieur lui manquait. Aussi a-t-il été heureux de sa nomination comme curé de Charolles en 1964, puis à St-Vincent de Mâcon en 1970, et par la suite prêtre auxiliaire à St-Vincent de Chalon en 1982.

Outre l’amitié nouée avec lui, J.M. Fernez et P. Bouthière, au cours des vacances de juin que nous prenions ensemble, c’est à Mâcon que nos liens se sont fortement affermis. Nous avions des convictions communes, un même souci d’éveiller à une foi dans le réel de la vie, la préoccupation de l’œcuménisme, la volonté de faire passer l’esprit du Concile nouvellement achevé… A l’époque les paroisses avaient des allures de chasses gardées !

Le temps n’était pas si lointain où les curés de St-Pierre et de St-Vincent de Mâcon s’étaient battus place de la Barre pour une histoire de cercueil et les « vincentines » (paroissiennes de St-Vincent) n’appréciaient guère les « pierrettes » (paroissiennes de St-Pierre) et réciproquement ! Par petites touches, le rapprochement a pu s’opérer : prédication dans les deux églises par le même prêtre de St-Pierre ou de St-Vincent ; mise en place d’une comptabilité commune ; mêmes équipes liturgiques ; repas commun.

Autre initiative fructueuse : la rencontre des chrétiens ayant une responsabilité de décideurs. Aidés par Mgr Gaidon, nous essayions de saisir le Concile, source d’une animation nouvelle du peuple croyant et non entreprise de démolition de l’ordre établi.

René Dargaud a vécu heureux dans ses divers ministères et également ici à la Maison Saint-Antoine lorsqu’il décida en 1993 d’y venir avec son ami de longue date, Roger Philibert. La disparition de ce dernier fut pour lui une épreuve, une cassure. Peut-être alors a-t-il fait sienne la prière de Teilhard de Chardin : « A cette heure sombre, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c’est vous qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en vous ».

Oui, René, au petit matin de samedi s’est réalisé pour toi l’hymne tant de fois prié : « Il viendra ! Un silence d’abord. Et l’hymne éclatera. Un chant de louange sera le premier mot dans l’aube nouvelle ».

Eglise d’Autun – Père Louis Bouard