Je voudrais dire un dernier adieu à notre ami le Père Pierre Colin, au nom de ses confrères du « cours ». Dans le vocabulaire ecclésiastique, vous savez peut-être que le mot « cours » désigne l’ensemble des candidats admis, la même année, soit à l’entrée au Grand Séminaire, soit à l’ordination sacerdotale.

Bien sûr, cela crée des liens d’amitié et de fraternité que le temps n’efface pas et qui se ravivent à l’occasion des retrouvailles, ordinairement annuelles, lors de la « réunion de cours ». En juillet dernier, nous nous étions retrouvés chez les Sœurs du Thil où nous avons célébré la messe et partagé joyeusement le repas fraternel. Notre ami Pierre nous avait rejoints, amené par une âme charitable, car il ne conduisait plus sa voiture. Je l’ai reconduit à Fontaines en fin d’après-midi. Ne connaissant pas bien la topographie du village, j’ai demandé à mon passager de me guider… Nous arrivâmes à l’église et au presbytère. Pierre m’a dit soudain : « Ah mais c’est vrai ! Je n’habite plus à la cure, mais au hameau des Saules ! ».

Je ne vous étonnerai pas en vous disant que notre Pierre était un grand distrait. De retour dans mon presbytère, le soir-même, j’avais un coup de téléphone : il ne savait plus ce qu’il avait fait de son aube et de son étole.

Nous pourrions, entre nous, ses confrères, et vous ses anciens paroissiens, composer tout un florilège de ses oublis et de ses aventures. La Bruyère, qui a écrit le portrait de Ménalque le distrait, a dit : « J’aime les gens distraits. C’est une marque qu’ils ont des idées et qu’ils sont bons… ». Notre Pierre ne manquait pas d’idées et il les exprimait volontiers, quelquefois même avec véhémence. Et il était plein de gentillesse et de bonté… Il lui manquait simplement ce qu’on pourrait appeler… la présence d’esprit !

Nous avons l’honneur d’avoir dans notre cours un évêque, Mgr Jean Hermil. Celui-ci nous avait invités à passer quelques jours avec lui dans son diocèse de Viviers. Le rendez-vous était fixé un soir, aux environs de 19 heures. Notre ami Pierre arriva un peu avant minuit : il s’était trompé d’évêché et était allé frapper à la porte de l’évêché d’Avignon, c’est-à-dire 80 km plus au sud.

Et puisqu’il s’agit de porte, alors que nous étions élèves au Petit Séminaire de Rimont, un jour, notre ami Pierre se trouva devant une porte qu’il croyait être celle de M. le Chanoine Merle, notre supérieur. Personne ne lui disait d’entrer, et pourtant le supérieur avait une voix sonore. C’est alors que notre ami prit conscience qu’il s’était trompé d’étage et qu’il était devant la porte du grenier. C’est lui-même qui nous raconta sa méprise, qui ne nous étonna nullement.

Notre ami savait rire de lui-même. Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes ! Bienheureux ceux qui sont assez intelligents pour ne pas se prendre trop au sérieux ! Bienheureux ceux qui savent regarder sérieusement les petites choses et paisiblement les choses sérieuses ! Bienheureux ceux qui sont capables d’interpréter avec bienveillance les attitudes d’autrui, même si les apparences sont contraires !…

Cher ami Pierre, sur le seuil de sa maison, notre Père t’attend. Tu ne risques pas de te tromper de porte, puisque saint Pierre ton saint patron est, dit-on, le grand portier du Ciel !

Eglise d’Autun – Michel Bassard