Action Catholique Rurale

Laïcat

Au plan humain, la place des agriculteurs a beaucoup changé.

1 – Situation

En 1945, on comptait 10 millions de personnes qui relevaient de l’agriculture et des professions annexes. En 1955, ils étaient encore 6200000, soit 31% de la population active. En 2000, ils n’étaient plus que 1300000 et 4,8 % de la population active. A l’issue de la guerre, il fallait reconstruire et nourrir, au moindre coût, la population. S’est alors mise en place une agriculture intensive (il faut se rappeler que les cartes de pain ont été supprimées le 1er janvier 1949). Une politique de formation s’est mise en place : ouverture d’écoles, vulgarisation… pour apprendre à travailler autrement. La mécanisation s’est imposée peu à peu, provoquant la croissance des coûts de production et l’incapacité de beaucoup à y faire face : ce qui, avec l’industrialisation, a entraîné le départ de beaucoup d’exploitants.

Le monde rural s’est alors beaucoup diversifié avec la présence de nombreux ouvriers (qui parfois conservaient une activité agricole) et d’employés, comme aussi la venue de familles à la recherche d’un environnement plus calme.

Au plan chrétien, le maillage de l’Eglise était assez serré en monde rural. Dans les années 50-60, la question de l’évêque d’Autun n’était pas « Qui nommer à tel poste ? » mais où trouver un poste pour tel ou tel. Certains prêtres ont dû attendre plusieurs mois avant une nomination.

La vie ecclésiale était assez traditionnelle, avec, cependant, des nuances. Dans l’enquête du P. Boulard sur la pratique religieuse, le diocèse comportait les trois catégories définies : zone à pratique religieuse assez forte (le Charolais et le Brionnais), zone « missionnaire » (le Mâconnais), le reste du diocèse constituait une zone à faible pratique où les traditions religieuses conservaient une certaine importance.

L’insistance de la pastorale portait sur la pratique religieuse (messe, sacrements…) et la morale personnelle (vie de famille, honnêteté, obéissance…). Une certaine coupure existait entre « vie chrétienne » et « vie quotidienne » (surtout dans ses dimensions sociale, économique, civique). Voici un exemple pour illustrer cette affirmation :

En 1966 environ, une situation existait en Brionnais. Une certaine rareté de la terre faisait croître le prix de celle-ci de façon importante. Je vais rencontrer des prêtres et des membres du CMR pour parler avec eux de ce problème et voir à quoi il nous appelle. A midi, je prends le repas au petit séminaire de Semur. A table, je dis aux prêtres le pourquoi de ma présence et obtient deux réactions. La première : « Quand quelqu’un possède quelque chose, il cherche toujours à en tirer le meilleur prix ». Je réponds « Pas toujours » et cite l’exemple d’un jeune de Bresse (que l’on m’a dit communiste), obligé de quitter la terre et qui la loue, à un moindre prix, à un jeune qui en avait le plus besoin. J’ajoute qu’un chrétien des environs a fait de même. La deuxième réaction qui m’a laissé sans voix : « Si vous voulez mêler les affaires et l’Evangile… » Ceci dit avec condescendance. Illustration de ce que souligne le Concile : « Ce divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d’un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps » (Gaudium et Spes 43).
Précisément, telle était la recherche du C.M.R. : mener toute la vie familiale, professionnelle, civique à la lumière de l’Evangile, tout ceci à partir des événements et situations vécus par les uns et les autres.

2 – La vie en Mouvement

En 1963, lorsque je suis nommé aumônier diocésain, pour succéder à Louis Boffet, c’est encore le Mouvement Familial Rural qui a prolongé l’action de la JAC-F.
Vers 1964, le Mouvement prend le nom de « Chrétiens en Monde Rural » pour que soit spécifié davantage le terme de chrétien.

Il existait alors de nombreuses équipes dans toutes les zones du diocèse, accompagnées par des prêtres pour lesquels se vivaient des sessions de formation au plan diocésain ou régional, ainsi que des rencontres plus proches.

Le plus grand nombre des membres étaient des agriculteurs. Avec eux, venaient souvent les questions professionnelles : transformation des méthodes culturales, importance de la coopération (production de lait, machines agricoles achetées en commun, crédit…). Se faisaient jour de multiples résistances au changement. Un nombre important prenait des responsabilités au plan local ou départemental pour aider la profession à mieux vivre son rôle. Beaucoup aussi s’engageaient au plan civique dans les conseils municipaux. La vie du monde rural aura été beaucoup marquée par tout cet effort des chrétiens.

Venait aussi tout ce qui touchait la famille (vie de couple, école, formation professionnelle…) Les « Jeunes foyers », issus de la JAC-F se retrouvaient entre eux durant les premières années de mariage. Une rencontre, entre autres, reste à ma mémoire :

« C’était à l’automne 1968. Une rencontre avait été programmée. Venait de paraître l’Encyclique « Humanae vitae » sur la régulation des naissances. Beaucoup se rappellent la très mauvaise réception de ce texte, à tel point que l’on situe à cette période l’éloignement de beaucoup de ce que peut dire le Magistère. En tout cas, ces réactions indignées se sont exprimées ce jour-là. Alors, il a fallu faire la distinction entre la morale qui est un appel à se dépasser et la manière de la vivre dans les situations concrètes. L’encyclique insistait sur la paternité et la maternité volontaire qui étaient à vivre avec générosité. Un couple pouvait se trouver devant la nécessité de n’avoir pas d’enfant. Que faire ? Si le couple vit avec générosité le don de la vie et qu’il ne peut, compte-tenu de son éducation, des circonstances de vie… vivre une régulation sans l’utilisation de moyens chimiques ou techniques, qu’il le fasse mais qu’il ne dise pas que c’est la loi qui est mauvaise. C’est lui qui est appelé, dans l’humilité, à vivre au mieux selon la direction que propose la morale.

Le monde rural changeait. Il ne comportait pas que des agriculteurs. Alors sont nées, moins nombreuses, des équipes d’ouvriers, d’artisans-commerçants, de techniciens. Toujours avec ce même souci d’éclairer la vie personnelle et collective à la lumière de l’Evangile.

3 – Mai 1968

Un événement qui a marqué toute la société et l’Eglise : mise en cause de l’autorité, des institutions de toutes sortes (université, Etat, Eglise…) « Il était interdit d’interdire ». Les générations suivantes, ayant vécu dans une Eglise sérieusement remise en cause, vivant dans un monde qui se transformait très vite… n’ont pas suivi ou très peu le chemin de leurs parents et aînés. Les Mouvements ont perdu de leur importance. Pourtant, il faut noter qu’avec le Concile, les intuitions et recherches des Mouvements sont devenues le bien commun de l’Eglise.

A cette période, j’ai vécu une rencontre significative. La voici :

J’étais aussi aumônier diocésain de l’ACGH (Action Catholique Générale des Hommes). Une rencontre inter-équipes avait été programmée en Juin 1968 à Chatenoy-le-Royal. Le programme est devenu le regard sur ce qui se passait. A mon arrivée, avec une certaine agressivité, un homme me dit : « Ce qui se passe, c’est la faute des curés. J’ai des faits » . Etaient présents des hommes très divers : un professeur du PSU (de gauche), un ouvrier qui sortait du piquet de grève de son usine, un ingénieur Kodak, un aristocrate ancien officier de la « Royale »… En moi-même, je me suis demandé si nous n’avions pas été présomptueux et comment pourrait se passer la rencontre. Des petits groupes ont été formés et l’échange, assez long, s’est fait, de grande valeur, calmement. Entre autres expressions, au moment de la mise en commun, l’ancien officier de Marine a dit comment c’était la première fois qu’il avait pu parler à un ouvrier et qu’il avait beaucoup appris ; l’ingénieur a raconté comment les cadres de son usine s’étaient donné comme objectif de comprendre la souffrance qui s’exprimait à travers toutes les revendications des ouvriers et elles étaient nombreuses, puisque ce moment a été celui de la parole prise par ceux qui avaient le sentiment de n’être jamais entendus… L’Esprit Saint avait fait son œuvre et la communion dans la prière a été forte ce soir-là.

4 – La présence de Taizé

En Juillet 1962, la réunion de mon cours s’est faite à Tournus où j’étais vicaire. L’après-midi, nous sommes allés à Taizé visiter l’église de la Réconciliation qui venait d’être terminée. Nous étions en soutane. Un frère nous voit et nous dit : « Frère Roger serait sûrement heureux de vous rencontrer ». Nous y allons. Il s’intéresse à ce que nous vivons et nous parle du Concile qui va s’ouvrir et auquel il a été invité. Il dit alors « Il y eut un homme qui s’appelait Jean. Il n’était pas la lumière, mais un témoin de la lumière… ». La chaleur avec laquelle il évoquait Jean XXIII et le futur Concile m’a fait dire aux collègues, en sortant : « Je crois que c’est le premier « catholique » que je rencontre… »

Mais il peut aussi y avoir des ombres. La sainteté n’est pas la perfection. En collaboration avec le P. Deshaires, vicaire général, nous avons programmé une rencontre de prêtres et laïcs chrétiens (la plupart du CMR) vivant dans le Clunysois. C’était à l’automne 1964. La question était de rechercher ce que nous pourrions vivre pour que la Communauté de Taizé soit mieux acceptée, puisque des réticences, des critiques s’exprimaient. Notre étonnement a été grand. A leur retour du Concile, le Fère Max Thurian a voulu nous rencontrer, au nom de Frère Roger. Ils avaient été meurtris par la tenue de cette réunion, sans eux : elle traduisait une défiance à leur égard. Nous avons eu beaucoup de peine à en dire le sens, qui était une remise en cause de nous-mêmes et non de la Communauté.

Autre événement que nous a raconté le P. Le Bourgeois : celui de l’admission à la communion de Frère Roger et de cinq autres frères, dont Max Thurian. C’était à la chapelle de l’Evêché dans les années 60 et quelques. En sortant de la célébration, les larmes aux yeux, Frère Roger dit : « Ce matin j’ai fait ma première communion ». Quelque temps après, le P. Le Bourgeois est convoqué à la Congrégation de la Doctrine de la Foi, dont le président est le Cardinal Seper et le secrétaire le Père Hamer. Il est demandé à notre Evêque de s’expliquer sur l’initiative qu’il a prise. Il le fait clairement. Le Cardinal Seper est très discret. Le P. Hamer dit alors : « Monseigneur, il faut leur demander de ne plus communier ». « Vous pensez qu’il faut le faire ? » « Oui » lui est-il répondu. Le P. Le Bourgeois qui connaissait bien les milieux romains lui dit alors : « Vous pensez qu’il faut le leur dire ? » « Oui »

« Alors, Père, vous viendrez le leur dire » : ce qui n’a jamais été fait. Dans son « Histoire de Taizé », J. Cl. Escaffit parlait de cet événement de manière inexacte et je lui ai écrit ; dans sa réponse, il m’assurait qu’à l’issue du Concile, le Cardinal Bea avait proposé de demander à Paul VI l’autorisation de communier pour toute la Communauté ; Frère Roger avait refusé parce qu’il désirait que cette autorisation concerne plusieurs groupes réformés et pas seulement Taizé qui avait des relations difficiles avec certains Réformés.
Dans cette ligne, un autre écho. Chaque année, il y avait un Conseil Episcopal élargi où participaient les aumôniers de Mouvements. La première journée était une récollection. En 1981, la récollection portait sur l’Eucharistie (c’était l’année du Congrès Eucharistique mondial à Lourdes) et c’est Max Thurian qui l’a animée. Traversant la Saône-et-Loire pour venir à Autun, il disait son action de grâce : voyant les églises, il remerciait pour cette présence, gardée depuis des siècles, de Jésus mort et ressuscité grâce à l’Eglise catholique. Parlant de la Sainte Cène, il a souligné que Frère Roger ne la présidait plus parce que, pour lui, ce n’était pas l’Eucharistie, alors que lui la présidait dans l’espérance qu’elle devienne, un jour, l’Eucharistie. Il aura eu l’occasion de la présider puisque, quelques années plus tard il sera ordonné prêtre en Italie, peu d’années avant sa mort.

Marcel Collaudin

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