Lourdeur, pesanteur. Au début des années quatre vingt dix, l’Église diocésaine se meut avec des semelles de plomb. Le diocèse se replie de plus en plus sur lui-même et est obnubilé par des questions internes : crise des vocations persistantes, diminution du nombre de prêtres, baisse également des baptêmes d’enfants, chute de la pratique religieuse, difficultés financières naissantes… Des laïcs charolais (une douzaine d’hommes et de femmes qui se réunissent régulièrement à Paray-le-Monial avec les pères Émile Duhesme et René Frühauf), s’émeuvent de ce nombrilisme.

RVsolidariteÀ la suite de Jean-Paul II qui prône une « nouvelle évangélisation », la Conférence des Evêques de France campe sur l’idée floue de « proposer la foi à la société actuelle ». Dans une France aussi ancrée dans la laïcité, un tel prosélytisme est évidemment voué à l’échec… sans un engagement conjoint des chrétiens sur les grands chantiers sociaux de l’époque. Or les évêques n’appuient pas ouvertement ceux qui prennent à bras le corps les problèmes dans le couple, l’éducation sexuelle des jeunes, les effets de la pollution sur la santé, l’insuffisance de logements sociaux, la souffrance psychologique au travail, l’accueil et l’insertion des migrants, les problèmes que pose le nucléaire, l’action corruptrice des grandes entreprises françaises en Afrique qui confortent les dictatures, l’abandon de l’aménagement du territoire qui conduit à une urbanisation effrénée et à un mal de vivre évident, etc. Sans l’appui visible des évêques, sans le relais actif de l’Église institutionnelle, les catholiques de bonne volonté qui se saisissent des problèmes de société et s’engagent sur le terrain, n’ont que peu de visibilité médiatique. Et sans cette caisse de résonance, la foi paraît inconsistante au public et ne fait pas vibrer le coeur des hommes. Bref, en ces années 1990 et 1991, le sentiment de notre équipe charolaise, c’est que le désintérêt grandissant de la population à l’égard de la religion est le fruit de cette incohérence entre l’injonction d’évangéliser et le refus des préalables qui rendraient cette évangélisation possible. Ce petit groupe aspire à une Église institutionnelle plus engagée face aux tragédies de ce monde, plus ouverte à l’idée d’un travail en commun avec des organismes non confessionnels luttant eux aussi contre l’injustice, la pauvreté et l’exclusion. Mais que faire concrètement pour qu’une telle réorientation puisse s’ébaucher ? L’idée est alors lancée d’organiser des « rendez-vous de la solidarité » c’est-à-dire un rassemblement, un congrès, de tous ceux qui, catholiques ou non, aspirent à une plus grande justice économique et sociale dans notre pays. Le Père Émile Duhesme, alors vicaire épiscopal pour le Charolais-Brionnais, décide de porter ce projet de rassemblement devant les instances diocésaines… qui l’agréent et se proposent de le préparer et de l’organiser, mais au plan départemental.

C’est ainsi que lors du Carême 1992, un dossier orange est diffusé à 6.000 exemplaires pour la réflexion des groupes dans toutes les paroisses de Saône-et-Loire. Il s’agit d’un commentaire du texte de saint Mathieu : « J’avais faim, j’étais un étranger, j’étais malade… » La question posée est celle de notre présence aux pauvres et aux exclus auxquels Jésus s’est identifié. Ce livret est très apprécié.

En juillet 1992, l’ensemble du diocèse s’étant mobilisé à partir de ce livret, l’évêque, Mgr Séguy, trace les grandes lignes d’une démarche « de type synodal », c’est-à-dire qui doit engager les catholiques de tout le diocèse.

Lors du Carême 1993, un nouveau fichier, vert, cette fois est également diffusé pour la réflexion des groupes. Il présente les principaux thèmes de la « doctrine sociale de l’Église » et souligne surtout que s’il est nécessaire d’être présents aux pauvres, de faire acte de charité, il est non moins indispensable de s’attaquer aux causes de la pauvreté.

À Noël 1993, une grande enquête est lancée dans toutes les églises de Saône-et-Loire. Le questionnaire est conçu avec l’aide d’un sociologue, M. Maurice Imbert, originaire de Sainte-Radegonde. Il est notamment demandé aux fidèles d’indiquer comment, dans leur existence quotidienne, ils sont confrontés aux problèmes de pauvreté et d’exclusion sociale et « comment ils réagissent face à eux au titre de leur solidarité humaine et leur foi « .

Une série de questions de cette enquête traduit bien l’esprit de la démarche : « Qu’attendez-vous surtout de l’Église : qu’elle prie pour les pauvres ? Qu’elle écoute les personnes en difficulté ? Qu’elle développe des organismes catholiques d’entraide ? Qu’elle encourage ses fidèles à participer aux organismes non confessionnels pour plus d’efficacité ? Qu’elle témoigne pour la défense des pauvres face aux pouvoirs économiques et politiques ? « …

Durant l’année 1994 et au début de 1995, les résultats de cette enquête sont communiqués à toutes les grandes paroisses où ils sont étudiés au cours de diverses réunions. Ces résultats s’accompagnent de témoignages et de « cris de douleur  » de personnes souffrant de la pauvreté qui se sont progressivement fragilisées, sont devenues dépendantes et sont finalement victimes d’exclusion, vivent une sorte de mort sociale.

RVsolidarite3Au final, il est demandé à ceux qui se saisissent de ce document « d’envisager des propositions concrètes, engageant notre Église de Saône-et-Loire « .
À l’automne 1995, ce travail de sensibilisation débouche enfin sur l’organisation à Taizé, d’un grand rassemblement festif diocésain. Pas moins de 6.000 personnes y affluent ! Ils entendent l’évêque, Mgr Séguy, promulguer un ensemble de 40 engagements de l’Église diocésaine « exprimant publiquement sa volonté d’une plus grande solidarité avec les hommes d’aujourd’hui, les pauvres surtout ». Et lors de la célébration eucharistique qui clôt l’événement, six diacres sont ordonnés. À la suite de ce rassemblement, sous l’impulsion du père Émile Duhesme et du diacre Yves Petit, un secrétariat diocésain de la solidarité voit le jour avec l’objectif « d’animer et de coordonner les actions de l’Église solidaire ». Il est constitué d’une dizaine de membres des principaux organismes catholiques engagés dans l’action caritative, humanitaire et sociale. Il organise chaque année, le premier samedi d’octobre à Taizé, des « Rencontres de la solidarité » qui sont axées autour de grands thèmes comme le surendettement, la question agricole, le droit d’asile, la paix…

Tous les cinq ans (en 2000, 2005, puis 2010), ces « Rendez-vous de la solidarité » prendront une ampleur particulière.
Ils réuniront chaque fois plus de 5.000 personnes.
Aujourd’hui encore, ils continuent de témoigner de la vive sensibilité de l’Église diocésaine aux grands problèmes sociaux de notre époque tant au plan local, national qu’international. Ils continuent de rappeler l’impérieuse nécessité pour l’Église d’être à l’écoute des hommes de son temps et proche d’eux, afin d’être un facteur de cohésion sociale et de pouvoir œuvrer sans relâche à leur réconciliation.
L’idée forte de ceux qui ont imaginé ces Rendez-vous de la solidarité restera à jamais pertinente. C’est que l’on ne peut se prétendre disciple du Christ sans s’engager au service de l’homme. Ce n’est que lorsque l’Église n’est pas distante, pas sur la défensive, lorsqu’elle s’abstient de sévérités moralisantes, lorsqu’elle mouille sa chemise au service de ses frères en souffrance, qu’elle parvient à faire rayonner une foi nourrissante dans les cœurs de tous ceux qui ont faim de Dieu.

Jean-Pierre Laveder

Le secrétariat de la Solidarité s’étoffe d’une dizaine de membres

Le secrétariat de la Solidarité s’est ensuite étoffé. Il est composé d’une dizaine de membres engagés dans les principaux organismes catholiques de solidarité. Comme indiqué dans ses statuts, il est chargé de l’animation et de la coordination des actions solidaires de l’Eglise diocésaine. Il organise chaque année, le premier samedi d’octobre, les Rencontres de la solidarité, à partir de grands thèmes (surendettement, question agricole, droit d’asile, la paix).
En 2004 lors de la 9e Rencontre de la solidarité une évaluation des 40 engagements du diocèse réalisée à partir de questionnaire diffusés dans tout le diocèse, souligne les progrès accomplis et pointe les oublis et les manques.
Tous les cinq ans un grand rassemblement diocésain réunit 5.000 à 6.000 personnes pour un temps festif et de célébration de nos engagements de solidarité.
Ce fut le cas le 1er octobre 2000, année du jubilé : « Heureux êtes-vous, avec le Christ le bonheur à partager, une idée qui fait son chemin » et le 2 octobre 2005 : « Au partage du pain » et enfin le 3 octobre 2010 : « Vivre les attentions de la Charité ».

Lors de son arrivée à la tête du diocèse en 2006, Monseigneur Benoit Rivière a totalement soutenu le travail du Secrétariat de la Solidarité, et a réaffirmé les 40 engagements comme un pilier de la pastorale diocésaine.

Le 1er octobre 2011 la démarche du diocèse d’Autun s’est tout naturellement continuée dans celle proposée par les évêques de France DIACONIA 2013. Ce sont les délégués de l’évêque à la solidarité, Jean Forgeat, puis Frédéric DUMAS qui ont succédé à Emile Duhesme dans ce service de la diaconie pour notre diocèse.